Charles Enderlin est le correspondant permanent de France 2 à Jérusalem depuis 1981. Il est notamment l'auteur d'une trilogie qui a fait date : Paix ou guerres. Les secrets des négociations israélo-arabes, 1917-1995 (Stock, 1998, nouv éd Fayard, 2004) ; Le Rêve brisé. Histoire de l'échec du processus de paix au Proche-Orient, 1995-2002 (Fayard, 2002) ; Les Années perdues. Intifada et guerres au Proche-Orient, 2001-2006 (Fayard, 2006). Extrait de l'introduction«Chaque fois qu'on introduit le messianisme en politique, les choses se gâtent. Cela ne peut mener qu'à la catastrophe.»Gershom Scholem, 14 août 1980Londres, juillet 1937. La commission d'enquête dirigée par sir Robert Peel publie son rapport sur la situation en Palestine à la suite de la révolte arabe. Elle propose la création de deux États. Les Juifs recevraient la plaine côtière à l'exception de Jaffa, de Gaza et de la Galilée. Les Arabes, le reste de la Palestine. Jérusalem et Bethléem formeraient une enclave sous mandat britannique.Pour la première fois depuis sa création, à la fin du XIXe siècle, le mouvement sioniste doit maintenant clairement définir son objectif final. Quelle sera la nature de l'État qu'il entend édifier ? S'agit-il de transformer le Juif diasporique en un citoyen responsable dans le cadre d'une communauté unie autour de principes, d'idéaux et d'une tradition issue de l'histoire biblique - la question de l'étendue de son territoire et de ses frontières étant alors secondaire ? Serait-ce plutôt l'aboutissement de l'aspiration millénaire du peuple juif à retrouver ses racines, à libérer la Terre d'Israël et renouer avec l'aventure biblique ? L'État, dans ce cas, ne serait qu'un moyen pour y parvenir, pas un but en soi.A Zurich, un mois plus tard, le XXe Congrès sioniste s'ouvre dans une atmosphère tendue. David Ben Gourion, qui dirige l'Agence juive, est favorable au partage de la Palestine sans pour autant renoncer à l'idée du droit historique des Juifs sur la Terre d'Israël, fondement du mouvement sioniste. Mais, à ses yeux, il convient d'être réaliste. Seuls l'immigration, le développement économique, la force militaire et d'éventuelles négociations avec les pays arabes détermineront, pense-t-il, les frontières du futur État. Il l'explique en ces termes, dans une lettre adressée à son fils Amos :«La création d'un État, même limité, servira de levier puissant pour nos efforts en vue de délivrer la terre dans son ensemble. Nous amènerons dans cet État le plus possible de Juifs. Plus de deux millions, pensons-nous. Nous créerons une économie diversifiée, fondée sur l'agriculture, l'industrie, la mer. Nous mettrons sur pied une force de défense, une armée exemplaire, je n'ai pas le moindre doute là-dessus. Ensuite, j'en suis certain, cela ne nous empêchera pas de nous installer sur les autres parties du pays, que ce soit dans le cadre d'un accord et d'une entente avec nos voisins arabes ou d'une autre manière. [...]»...L'opposition à cette stratégie est quasi générale. Plusieurs dirigeants travaillistes, parmi lesquels Golda Meyerson (Meir), futur Premier ministre d'Israël, et Yitzhak Tabenkin, qui prône l'instauration du socialisme sur l'ensemble de la Terre d'Israël, sont convaincus que Robert Peel veut imposer au mouvement sioniste qu'il accepte la formation d'un État croupion et ils rappellent la promesse faite en 1917 par lord Balfour : «Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un Foyer national pour le peuple juif, et il emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui porte atteinte aux droits civils et religieux des communautés non juives de Palestine ainsi qu'aux droits et aux statuts politiques dont les Juifs jouissent dans les autres pays.»