Extrait de l'introductionVoilà près d'un millénaire que la plus énigmatique des cités du Sahel nargue l'humanité, tantôt par son commerce de sel et d'or, tantôt par son patrimoine intellectuel et architectural flamboyant. Longtemps, atteindre cette cité malienne de quelque trente mille âmes à un millier de kilomètres de Bamako était une épopée qui relevait d'une curiosité de pèlerins, d'aventuriers et d'explorateurs. Une épopée à la hauteur du mythe.Après René Caillié - qui séjourna treize jours dans la cité en 1828 -, l'anthropologue Heinrich Barth atteignit Tombouctou en 1853 (voir p. 32 les récits de René Caillié, Heinrich Barth et Félix Dubois). Le scientifique allemand fut un des premiers à découvrir les manuscrits de la cité et en particulier le Tarikh es-Soudan d'Abderrahmane Es-Sa'di, chronique qui décrit la vie sociale des Africains du Sahel au XVIIe siècle. Car bien plus que l'or et le sel, les manuscrits sont le trésor inestimable de Tombouctou.Au coeur de l'Afrique subsaharienne des XVe et XVIe siècles, Tombouctou, cité florissante, attirait enseignants et étudiants, protégés par l'empereur du Songhaï, notamment l'Askia Mohammed. C'est là que se partageait et se propageait le savoir. L'enseignement et le livre prospéraient et tous les métiers en profitèrent : copistes, libraires, répétiteurs, relieurs, traducteurs, enlumineurs...On venait d'Égypte, d'Andalousie, du Maroc ou de l'Empire du Ghana pour suivre des cours à l'université de Sankoré. En pleine gloire, la ville accueillait ainsi plus de vingt-cinq mille étudiants.Sur des parchemins, sur des papiers d'Orient, sur des omoplates de chameaux ou des peaux de mouton, tout était noté, commenté, référé sur une base calligraphique inspirée du magribi, sorte d'écriture arabe cursive qui permettait d'économiser le papier : le cours du sel et des épices, les actes de justice, les ventes, les précis de pharmacopée (dont un traité sur les méfaits du tabac), des conseils sur les relations sexuelles, des précis de grammaire ou de mathématiques.Après l'effondrement de l'Empire songhaï au XVIIe siècle, ces manuscrits ont été conservés dans des cantines rouillées et des caves poussiéreuses, mangés par le sel et le sable. Et oubliés.Mais depuis quelques années déjà, les langues se délient. Ainsi, en 1980, on eut vent à Genève d'un trafic de parchemins volés à Tombouctou et revendus à «prix d'or» à New York. C'est en entendant ce genre d'histoires, avérées ou non, que les populations du nord du Mali et sa diaspora se sont mises à parler. Dans la région de Tombouctou d'abord où des milliers de familles cherchent à savoir pourquoi elles détiennent chez elles, depuis plusieurs générations, quantité de manuscrits dans des cantines rouillées entreposées dans leurs greniers. En Afrique subsaharienne et plus particulièrement au Mali ensuite, où tout un peuple s'interroge sur l'origine d'écrits dont il ne sait pratiquement rien. Dans le reste du monde enfin, où l'intérêt scientifique d'un tel patrimoine commence à semer le trouble chez nombre d'historiens américains, sud-africains et européens désormais persuadés que l'oralité, seule, ne peut expliquer toute l'histoire du continent Noir.(...)