ExtraitPenser le judaïsme, penser au judaïsmeLes études juives seraient-elles donc une affaire juive ? Et seraient-elles, pour cette raison même, condamnées à susciter a priori les mêmes réactions ambivalentes que leur objet - le judaïsme - suscite traditionnellement ? La méfiance, la crainte ou le rejet. La condescendance ou le manque absolu d'intérêt pour ce qui, étant si «particulier», voire «exotique», semble sans portée «générale». L'admiration, aussi, voire une étrange fascination. Sans oublier la compassion que l'on doit à un peuple éprouvé par l'Histoire.De fait, historiquement, les études juives sont nées, pour partie, comme un prolongement du judaïsme lui-même. L'ambivalence de leur statut est, de ce point de vue, exemplairement illustré par l'itinéraire d'un de leurs pères fondateurs, au XVIIe siècle : Léon de Modène (1571-1648). Ce rabbin italien est l'auteur d'un ouvrage, rédigé sans doute dès 1614, publié pour la première fois à Paris en 1637, et destiné à un lectorat chrétien, sur les Cérémonies et coutumes qui s'observent aujourd'hui parmi les Juifs. Il répond à une curiosité ethnologique typique de son temps, laquelle s'est développée dans le sillage des grandes découvertes et des relations de voyages aux Amériques et en Asie. Mais le contexte politique et religieux est lourd. Léon de Modène vit dans le ghetto de Venise et l'ombre plane, menaçante, de la censure du tribunal du Saint-Office. Quelle sera donc son attitude ?Celle, dit-il dans sa préface, d'un auteur faisant mine d'oublier qu'il est Juif, se mettant dans la peau d'un «simple et neutre rapporteur» soucieux «de rendre compte, et non de convaincre»5. Voilà un programme auquel maints savants modernes - et parmi eux maints spécialistes du judaïsme après Léon de Modène et jusqu'à aujourd'hui - ont effectivement prétendu se tenir : oublier qui l'on est, renoncer à toute posture apologétique et se contenter de décrire. Comme si l'on pouvait oublier qui l'on est, comme si «simplement» décrire était vraiment un acte «neutre». Et comme si la formule du rabbin italien n'était pas un artifice rhétorique bien avant d'être une épistémologie. -