Horacio vit Pacho et le taureau passer sous les orangers, à côté de la Volkswagen noire, dont les vitres reflétaient les premiers rayons du soleil. Un peu plus tôt, quand il faisait encore nuit, Horacio était sorti en robe de chambre pour essuyer la rosée avec un torchon et faire briller la voiture avec un autre ; puis il était revenu à la maison, s'était assis dans la salle à manger, les jambes croisées, avait fumé en agitant le pied, bu un café et attendu que Pacho amène le taureau. «Il est né pour être nerveux», commentait souvent Eladio, beau-frère d'Horacio, et médecin. «Comment comprendre qu'on puisse être attaché à ce point à quelque chose qui nous fait autant trembler ?» disait-il de sa voix profonde, faisant référence à l'amour de la vie d'Horacio.Le sifflement pénétrant de Pacho retentit, et le pékinois des filles commença à japper comme s'il était devenu fou. Horacio avait six filles et un fils, le plus jeune, et tous dormaient encore quand Pacho et ses dents gâtées sifflèrent à six heures du matin, ce deuxième samedi de mai 1960. Les filles commenceraient à se lever après neuf heures ; le cadet, vers midi, en criant après Carlina, la femme de service, pour exiger son déjeuner et en demandant à sa mère où elle avait bien pu foutre son lance-pierres. En ce temps-là, la fumée des usines et des automobiles n'avait pas encore tout à fait sali l'air, sur la vallée le ciel était toujours parfaitement bleu.- Bonjour Pacho.- Bonjour don Horacio.Le pékinois, odieux et prognathe, sortit japper après Pacho, mais à la vue de la masse du taureau, il laissa échapper un couinement de frayeur et repartit comme une balle jusqu'à la maison. Pacho disait souvent que ce chien était une tapette. Pacho était grand et maigre ; il avait les yeux bleus, les plus grands pieds du monde et marchait sans chaussures. Il aidait Horacio à s'occuper de la vache. Les filles le détestaient. Il chiquait du tabac et était capable de projeter un crachat entre ses dents à plus de cinq mètres de distance.Pendant que le taureau se redressait de façon spectaculaire, comme si la terre se soulevait, Horacio tenait la queue de la vache afin que le membre rouge du taureau disparaisse dans sa chaleur. La rosée lustrait les feuilles des bananiers, étincelait sur les fleurs des orangers. Puis Pacho fit marcher le taureau un moment dans le pré derrière la maison, le temps qu'il se repose, et Horacio découpa de l'écorce de bananier pour sa petite vache blanche et noire. Les mains d'Horacio étaient larges et expressives.