Le grand pédagogue que fut Korczak et dont le nom est associé au martyre des enfants juifs du ghetto de Varsovie, a longtemps répugné à écrire un journal intime. Pressé de toutes parts, au faîte de sa renommée, il ne pouvait se résoudre à ce genre qu'il qualifiait volontiers de "littérature sinistre et accablante". Et s'il y a consenti, à quelques années de clore en toute conscience son destin héroïque (il a 60 ans lorsqu'il a commencé son journal), jamais il ne sacrifia tout à fait aux lois du genre, orientant très vite ses propos vers cette humanité souffrante pour laquelle il avait accepté son propre sacrifice. Korczak en effet, bien que juif, aurait pu connaître un autre destin du fait de sa renommée. Fuir par exemple le ghetto dont il était l'un des rares à pouvoir sortir quand il le voulait. Jusqu'au bout, luttant pour améliorer le sort de ses 200 orphelins juifs qu'il savait voués à l'extermination, il préféra les accompagner un jour d'août 42 à Treblinka, plutôt que de leur survivre pour témoigner de ce dont il n'y avait plus à témoigner."Il est des problèmes qui ressemblent à un tas de guenilles ensanglantées, abandonné au milieu du trottoir". C'est à cela que Korczak s'est confronté, avec une rare hauteur de vue et d'humanité. Sans aucune illusion, du reste, pour cette humanité : les journalistes américains de passage, déçus de ne pouvoir prendre les photos sensationnelles qu'ils se promettaient, de montagnes de cadavres d'enfants dans les rues du ghetto, ont achevé de le désabuser.--Joël Jégouzo-- --Ce texte fait référence à une édition épuisée ou non disponible de ce titre.