Les enfants quittaient la classe un à un, abandonnaient leurs coloriages et se levaient de leurs chaises miniatures pour se précipiter dans les bras de leurs parents sous le regard bienveillant de l'institutrice, une fille timide et fluette à qui je n'avais rien eu à reprocher en presque trois mois. En guise d'adieu, Manon l'avait embrassée sur les lèvres et l'instit n'avait pas bronché, les yeux brillants elle nous avait souhaité bonne chance : aller vivre au bord de l'eau elle nous enviait. J'ai rejoint Manon dans le fond de la pièce, au beau milieu des étals de légumes en plastique elle serrait Hannah contre son coeur, elles s'accrochaient l'une à l'autre, inquiètes de se perdre. C'était une gamine pâlotte dont j'ignorais si elle était seulement douée de parole. Je l'avais pourtant accueillie deux ou trois fois à la maison, elles avaient joué tout l'après-midi, planquées sous le tamaris dont les branches tombaient si bas qu'elles faisaient une cabane, je ne les avais vues qu'à peine, le temps de leur servir un verre de lait un bout de pain un morceau de chocolat pour le goûter, elles avaient avalé ça assises à la table en fer rouillée, peinture blanche écaillée par endroits. Parfois, la petite Hannah levait les yeux vers la tour B des Bosquets, elle y vivait et ça devait lui sembler étrange cette vision inversée des choses, de sa chambre elle pouvait nous voir dans le jardin, mais c'était devenu si rare, c'était si loin les nuits d'été la musique, la guirlande dans le vieux cerisier la fumée du barbecue, les bières et tous les voisins qui rappliquaient, les derniers temps je ne prenais même plus la peine d'ouvrir les volets et tout était à l'abandon. --Ce texte fait référence à l'édition Broché .