ExtraitQuinze février, mardi gras, deux heures de l'après-midi, vous ne me ferez jamais dire quatorze heures, ça fait usine, pointage, horloge parlante, grand jour pour moi ! Je ne me déguise pas, je me retrouve. Après quelques semaines d'abstinence, je réendosse ma blouse d'artiste dont les plis, en dépit des nombreux lavages, conservent un peu des couleurs de mes oeuvres passées.Bonjour, liberté ! Grégoire, mon Pacha, est à son Club des Cinq, cinq loups de mer à la retraite, cinq vieux vikings du Scrabble, qui se préparent à porter haut les couleurs de Caen, notre bonne ville, en allant infliger une déculottée aux minables du club de Saint-Lô. Il ne sera pas de retour avant sept heures ce soir.Salut, tranquillité ! Plus besoin de suspendre à la porte de mon atelier l'écriteau «Ne pas déranger», ma nombreuse descendance étant désormais envolée ou abritée sous le toit de parents mariés, démariés, remariés. Terminés les sanglants étripages pour le grillé au bord d'un plat à gratin, le feuilleton à la télévision, la rue de la Paix au Monopoly. Nous n'avons plus nos petits-enfants devenus grands (hum !) que pour le meilleur : durant les week-ends, çà et là lors d'un repas-surprise-confidence, et à l'occasion des fêtes. Bientôt celle des grands-mères.Côté jardin, de l'autre côté de la fenêtre de mon atelier, c'est le printemps qui se mijote. Ça s'affaire grave sous les pelouses et au creux des bosquets, buissons ou autres massifs, oeuvre de mon Pacha. Ça s'apprête à exploser le long des branches de pommiers et, sous ses airs bougons, Clafoutis, notre cerisier, nous concocte des fleurs de mariée.Allons-y ! Toile vierge placée sur mon chevalet, je prépare à présent mes couleurs sur ma palette. Comme tout artiste, je suis passée par différentes périodes. Jeune grand-mère, ma période Fleurettes sur coffres de bois, lucrative grâce à mes chères amies, Marie-Rose la brocanteuse qui me trouvait des clients et Diane, femme de diplomate, assurant la promotion à l'étranger. Puis vint ma période Rembrandt, claire-obscure comme l'état de mes sentiments. Sans doute visais-je un peu trop haut, elle fit long feu, ce qui signifie s'éteignit vite, allez vous y retrouver avec la langue française ! Je me rabattis sur une période Ailes, cachant mal mon désir d'envol pour échapper à la pagaille noire qui régnait dans ma famille, et à un mari de plus en plus ronchon qui, malgré son beau nom, Rougemont, ne comprend rien à l'art et qualifie mon oeuvre d'«ouvrage de dame».La dame a décidé de faire voir au monde ce dont elle est capable.J'entame aujourd'hui ma période Âme !