Extrait de l'introductionArthur Rimbaud, au plus près...Notre rapport à Rimbaud est ambigu et complexe. A la seule prononciation de son nom, un visage paraît, comme si nous l'avions toujours connu. Cheveux en désordre, lèvres fines, serrées, dures, regard clair, pur, froid, intransigeant... Sommes-nous si familier ? Lui, nous ignore et cette ignorance nous maltraite. Sommes-nous si masochistes ? Nous restons fascinés et attachés. Que voit-il ? Dans la réalité du studio où fut prise cette photographie, une tenture, un vase ou un pot de fleurs sur le rebord d'une fenêtre, c'est-à-dire rien. Son regard porte au-delà, par-delà le réel, enfer et paradis mêlés, désirs et frustrations, espérance toujours, arrogance et détermination. Nous ne pouvons le suivre. Ce regard nous porte à l'interrogation sur lui et, indirectement, sur nous-mêmes. Le voyant, nous entendons ses vers, nous retrouvons la révolte contre toute vie médiocre, banale, ordinaire, nous éprouvons la hantise maladive de l'ennui, la quête, toujours, d'un sens à la vie, l'horreur de la satisfaction, l'exigence de liberté, d'espaces immenses, le besoin d'utilité au monde avec le goût de la lutte. Nous savons le drame qui vient, son incapacité à la patience, lui, toujours pressé, le renvoi de toute concession qui serait déjà compromission, sa disposition à la violence, même contre soi, jusqu'au renoncement à son génie, décision que nous lui reprochons, mais preuve aussi d'une extrême liberté que nous lui envions. Nous connaissons cette vie d'Afrique, austère, brutale, et dont il avait eu besoin pour se reconstruire. L'ange est-il tombé, archange déchu alors ? Il n'était ni ange ni démon, mais Arthur Rimbaud, un homme comme nous, fragile sous l'apparente robustesse, avec des rêves immenses et des grandes désillusions. Son humanité nous concerne plus que tout autre caractère. Ses poèmes, icônes de la littérature mondiale, sont faits de main d'homme. L'écriture en est la preuve. Arthur Rimbaud est l'être le plus pudique qui soit, il ne se livre pas, même à ceux qui l'aiment profondément, gravement. Il laisse sa vie comme son oeuvre dans ce clair obscur, ombres et mystères, qui le protège. Les extravagances exhibitionnistes de la période zutiste sont à mettre au compte de la nécessité pour un tout jeune homme de 17 ans de démontrer sa virtuosité potache à des compagnons plus âgés que lui et qui pouvaient avoir tendance à le considérer comme un enfant, le nourrisson des muses. Qui peut prétendre connaître vraiment Arthur Rimbaud ? Même Verlaine, qui pourtant partagea son intimité, ne le comprit pas et s'évada. Même Vitalie sa mère, par-delà les attaques nécessaires de l'adolescent, le seul point affectif durable de cette vie, ne saura jamais tout de son fils. Les lettres d'Afrique ne laissent filtrer que ce qu'Arthur veut bien dire ; elles sont destinées à émouvoir la mère, qu'elle le plaigne et l'aime plus encore. L'unique impudeur d'Arthur Rimbaud est dans son écriture. D'où l'émotion assurée de lire son oeuvre dans les manuscrits, de tenir ces feuilles volantes dans les mains. C'est comme toucher la main qui vous les tend, l'approcher au plus près, au plus vrai. Là, plus d'obstacle de la typographie, de l'interprétation du typographe ou de l'exégète. Si erreur de lecture il y a, c'est la nôtre, c'est-à-dire ce que nous avons voulu lire, ce que nous désirons lire... C'est appropriation. Rimbaud qui se donne. Ses poèmes ne sont plus ânonnements de classes primaires, mais lectures dans le silence, comme on lirait une lettre d'amour écrite pour nous seuls. Il y a ici communication directe, émotion pure, sans entrave. N'est-ce pas le rêve ultime de l'art moderne ? La vérité du poème est aussi dans l'écriture, la disposition des mots, des espaces, des lignes, les remords, les additifs dans les marges ou les interlignes. (...)