ExtraitMarie ouvrit les volets, aussitôt le soleil envahit la chambre. Elle tira la couverture du lit, la renversa sur la rambarde du balcon puis la battit du plat de la main. Un nuage poudré s'éleva dans l'atmosphère. Impalpables et oscillantes, les poussières jouaient dans la lumière.Ce matin, Marie s'était levée de bonne heure avec l'intention de traquer la poussière, de chasser les toiles d'araignées en même temps que les miasmes de l'hiver. Tout en s'activant, elle goûtait à la quiétude des premières heures du jour, à la tiédeur d'avril. De son enfance elle gardait un amour irraisonné pour les arbres. Il lui suffisait d'admirer le jardin pour se sentir heureuse. Elle était fière du cerisier qui, d'année en année, forcissait au point d'aller couvrir de son ombrage une partie du gazon. L'arbre lui disait les saisons qui passent. Il témoignait de l'accomplissement, chaque année répété, du même miracle. Miracle de la floraison, miracle de la mutation de la fleur en fruit, miracle de la feuillaison, à laquelle succédait le lent dépouillement dont les tonalités vibrantes étaient les derniers feux avant la mise en sommeil. Petite mort qui allait dévoiler la sévère et majestueuse ramure.Chaque saison, Marie se faisait le témoin attentif de ce prodige. Elle pensait n'éprouver aucune nostalgie du temps qui passe et se disait qu'elle n'était pas de celle que les souvenirs retiennent au bord du chemin. La nature lui avait appris que tout n'était qu'un éternel recommencement et, qu'en cas de tempête, tel l'oiseau, il lui suffirait d'attendre les vents favorables pour reprendre son vol et se laisser porter par les courants ascendants. Pourtant, depuis quelques mois, la mélancolie s'était emparée d'elle.Marie refaisait son lit. Ses gestes, bien que rapides et précis, s'imprégnaient de délicatesse comme si le bonheur risquait de se briser. Parfois, une peur incontrôlable s'insinuait en elle. Pensées fugaces, aussi menaçantes qu'une lame appuyée contre sa peau, aussi pénétrantes qu'un clou vrillé dans sa chair.Marie s'affairait. Dans l'espoir de chasser ses craintes, elle lissait les draps, tapotait les oreillers, tirait le dessus-de-lit qu'aucun corps d'homme n'était venu chiffonner... L'étau se resserra. Elle se posta à la fenêtre. Son regard erra, rencontra un bout de ciel bleu, effleura le haut du portillon. L'angoisse sourdait. Elle pensa qu'elle devrait repeindre la grille, trouverait-elle seulement le même ton de vert ? Son regard survola la pelouse, s'appesantit sur la bordure fraîchement plantée. Cette année, elle avait choisi d'associer tulipes jaunes, iris mauves et impatientes aux teintes profondes et chatoyantes de l'améthyste. Si l'association était réussie, elle se promettait de l'immortaliser en une aquarelle ou une huile.Oppressée, Marie chercha sa respiration. Quand, par hasard, ses yeux se portèrent sur la tente plantée près du muret, elle vit la toile frissonner. Elle se pencha : fusa un rire, bondit une boule de poils. Après le chat apparurent deux jambes nues suivies d'une tête ébouriffée. «Aurore ! Sa fille n'avait donc pas dormi dans sa chambre ? Et dire qu'elle n'avait pas osé descendre préparer le petit déjeuner de peur de la réveiller !»