Extrait du prologueDans la voiture de Bonel, je serre les fesses. Dehors, la circulation va dans tous les sens et surtout à contresens. Les vitesses grincent à chaque passage de l'une à l'autre. Petit, fragile, souriant, Bonel paraît plus jeune que son âge. Il écrit des poèmes d'amour, exclusivement d'amour. Car il est amoureux. Elle aussi.tous les bruits de Port-au-Princes'engouffrent sous ton drapun à un tu les couchescontre ta poitrineet la ville s'endortsur une douce musique de chambreNous allons chez un imprimeur de Port-au-Prince récupérer son troisième recueil. Sa première lettre ouverte à Elle. La climatisation est en panne comme est en panne le pays. Les routes n'en sont pas.Les tap-tap colorés de phrases se croisenten mille milliards de poèmeset donnent du sens à l'insenséde la circulation :la crainte de Dieuest le commencement de la sagesseà l'instant où la roue avant droite d'un taxi s'en va n'importe où dans le jourl'éternel est mon bergerà l'instant où notre route se perd dans la nuitelle tombe comme une lame sur le cou d'un condamné à vivre parmi l'arc-en-ciel des tap-tapqui rend si triste ce soirla couleur des ardoises de mon pays.