ExtraitEn merMer plate. Nuit sans lune. Voie lactée, étoiles. Pas un souffle d'air. Si le vent ne se lève pas, ils n'atteindront Ajaccio que demain soir. Ils ont coupé le moteur pour dîner. Ils ont joué aux dés à la lueur de la lampe tempête, puis elle a pris le premier quart. Rien à faire sinon veiller au passage de ferries, de bateaux de plaisance. Guillaume a ronflé, s'est tu. La barre repose sur son socle. Le silence règne, profond. De temps en temps un poisson vient agiter la surface de l'eau. Avant d'aller dormir, Catherine a dit : Dieu est là.La voûte tourne autour du bateau : Mars vient d'apparaître, Cassiopée est au zénith.Elle respire, son coeur bat, mais ses pensées se sont arrêtées. Eux dorment. Ils lui font confiance.Il est 3 h 30.Six degrés trente-deux minutes de longitude est, quarante-deux degrés quarante-deux minutes de latitude nord, au grand large de l'île du Levant.Elle se lève.Elle installe l'échelle de coupée en prenant garde à ne pas faire de bruit.Elle se déshabille, plie ses vêtements, enlève sa montre, la dépose dans une de ses chaussures, et se glisse dans l'eau.Toute nue. Elle ne s'est jamais baignée nue, éprouve une dérangeante sensation, inattendue. Elle hésite à remonter pour enfiler son maillot. Mais elle ne le fait pas, par crainte de les réveiller ou de faiblir.La mer est chaude.Les conditions ne sont pas idéales pour mourir vite.Elle nage. Elle s'éloigne. Elle se dépêche au cas où Guillaume se réveillerait avant l'heure. Nager jusqu'au bout de ses forces, c'est son idée. Elle mourra d'hypothermie, ou parce que les muscles se seront tétanisés. Elle a quarante-cinq ans pour quelques heures encore.Quand elle s'estime suffisamment loin, elle se retourne. Pas d'alerte. Ils dorment.Elle nage. Elle avance. Elle pourrait décider de se noyer tout de suite. Mais c'est un courage ou une force qu'elle n'a pas. Pour se noyer volontairement il faut être costaud, à moins qu'on ne se charge d'un poids. Elle va se fatiguer, et c'est la mort qui la prendra, comme si la mort avait des bras, était quelqu'un, sa tante quand elle était petite. Elle a d'abord nagé la brasse coulée, et pour reprendre son souffle, elle est passée à la nage indienne, sur le côté droit, puis sur le côté gauche. Elle alterne maintenant, elle compte mentalement, vingt brasses, vingt nages indiennes à droite, vingt à gauche.C'est une excellente nageuse, entraînée. Cela va être long.