ExtraitILa séquestration n'avait pas été préméditée. Tout au moins au début.Pour dire vrai, tout ce qui m'y a conduit est un enchaînement de hasards ; quand vous auriez cru à ma volonté de nuire ou à une part de perversité, vous vous seriez fourvoyés.Je n'ai aucunement l'intention de vous détromper.Mais je peux vous raconter.IlC'était juste avant l'automne, cette saison bancale, entredeux, dont la seule évocation nous jette dans le spleen des poètes. Bonne-maman achevait sa vie à l'étage de la maison, allongée dans ses draps souillés qui empestaient l'urine et les chairs en décomposition. Moi, je feignais le dévouement empressé sous l'apparence du calme, mais dans mon esprit grinçaient les rouages d'une armée d'horloges déchaînées. Rien de pire que d'attendre une fin qui ne vient pas.On dit souvent bien niaisement que l'on sent la mort rôder à pas feutrés, se cacher dans les ombres des portes et les entrebâillements de placards. Pas du tout. Elle est lointaine, intouchable. Elle ne fait pas partie de ce monde tant qu'elle n'a pas fondu sur vous. Vous croyez que vous aurez droit à un signe vous indiquant qu'elle va vous ravir quelqu'un. Que votre chien va hurler sans raison, que les carillons vont tinter. Que vous serez là pour recueillir les dernières volontés du moribond, avant qu'il n'ait un soupir et rende l'âme. Si c'est à cela que vous vous attendez, vous vous sentirez floués le moment venu. Parce que la mort entre par la grande porte, en plein jour, à l'heure bruyante de la sortie des écoles, passe devant vous sans un mot et vous vous trouvez à contempler stupidement un cadavre, en vous questionnant sur l'utilité d'ameuter votre entourage.Cela se passa ainsi pour Bonne-maman. Je restais parfois à son chevet des heures durant, sans savoir si elle m'entendait ou si elle avait seulement une quelconque conscience de ma présence. Je n'ignorais pas son refus de mourir. Moi-même j'ajournais cette option, à la fois désemparé et coupable. Je l'aurais gardée toujours avec moi, si tant est qu'une main divine m'en laissât le choix, même s'il avait fallu encore changer ses draps et ses couches pendant des années. Quoi qu'en dise le médecin de famille, qui m'exhortait bien naïvement à me préparer, je savais bien que c'était chose impossible ; on n'est jamais prêt à se séparer des êtres aimés, quand bien même ils auraient été centenaires. Pourtant, tacitement, nous attendions tous les deux cette fin qui prenait son temps.