ExtraitPierre Loti fit en tout cinq séjours au Japon. Le premier en 1885. L'année précédente, des troupes chinoises avaient pénétré en Indochine, sous protectorat français depuis le traité de Hué. L'amiral Courbet, chargé des représailles, commande une flotte composée d'un aviso, trois cuirassés, trois croiseurs, trois canonnières, deux torpilleurs. La flotte chinoise est battue à la fin d'août, puis c'est le blocus du nord de Formose et le débarquement sur les îles stratégiques des Pescadores, fin mars 1885. Loti est lieutenant de vaisseau (grade équivalant à celui de capitaine) à bord de La Triomphante ; son cuirassé ayant besoin de réparations, il mouille en rade de Nagasaki, du 8 juillet au 12 août. Le navire croise ensuite en mer intérieure : Loti fait escale du 19 septembre au 17 novembre à Kobé, et passe une semaine à Yokohama.En 1900, c'est la guerre des Boxers. Voyant son empire grignoté par d'autres puissances, l'impératrice chinoise Tseu-Hi encourage en sous-main la secte des Boxers (qui professe la haine des étrangers et entend les chasser de Chine). Les flottes alliées de la France, de la Grande-Bretagne, du Japon, des États-Unis prennent le fort de Takou en juin 1900, puis un corps expéditionnaire marche sur Pékin pour secourir les légations assiégées.Les trois autres séjours de Loti ont lieu lors de cette guerre, en 1900-1901, après ces batailles livrées en mer de Chine, à bord cette fois du cuirassé Le Redoutable : il est de nouveau à Nagasaki du 9 décembre au 1er avril, puis de 28 juin au 6 juillet, et après un périple allant de la Chine au détroit de Corée, il revient au Japon pour plusieurs escales, du 26 août 30 octobre 1901, à Kobé, Yokohama, et encore Nagasaki.Les textes que Loti publie sur le Japon sont, en 1887, Madame Chrysanthème (roman qui s'étend sur 78 jours alors qu'il n'y est resté que 36 jours selon son Journal), puis 9 articles publiés dans des revues en 1886-87 qu'il rassemble dans les Japoneries d'automne (paru en mars 1889). Enfin, en 1905, il fait paraître La Troisième Jeunesse de Madame Prune.ENTRE JAPONISME ET JAPONAISERIELe Japon est un pays dont le fil de son histoire témoigne de sa difficulté à régler sa distance avec les étrangers, et à penser sa propre singularité, indéniable pourtant, sinon en la puisant dans le regard que ces étrangers lui portaient. Pour les Occidentaux, cet embarras à saisir l'essence du Japon fut identique. Les premiers navires portugais débarquent en 1543 sur l'archipel que Marco Polo avait dénommé Cipangu, et six ans plus tard le jésuite espagnol François-Xavier convertit les habitants de Kyushu qui voient dans le christianisme une forme originale de bouddhisme. Mais craignant la contamination du conflit entre protestants et catholiques, le shogun Tokugawa décide en 1639 une fermeture drastique : y débarquer était puni de mort. La même punition valait inversement pour les Japonais qui prétendaient quitter l'archipel, et ce durant deux siècles. Aussi lorsqu'en 1868, avec l'ère Meiji («gouvernement éclairé»), le Japon s'ouvre brusquement au monde extérieur, il fait l'objet d'un engouement enthousiaste, mais ambivalent. Les premiers diplomates qui en rapportent des objets d'art ou d'artisanat contribuent à alimenter aussi bien le japonisme (l'idée d'un Japon spiritualiste, charmant, merveilleusement médiéval) que son envers, la crainte envers un pays (...)