ExtraitDans sa chambre à la pension du lycée, Ashmi s'est enveloppée dans son sari bleu clair. Elle rejoint ses amies Neia et Laxmi et toutes trois descendent les escaliers au plus vite pour se joindre à la foule grossissante qui a envahi les rues de Katmandou. On a assassiné le roi, la reine et la jeune princesse. La stupeur s'est emparée des habitants de la ville au fur et à mesure que l'horrible nouvelle s'est répandue. Ils veulent comprendre. Mais personne ne sait rien, personne n'a rien entendu. Pas même les centaines de gardes présents dans le palais. Le peuple népalais ne peut y croire. La colère monte.- C'est le fils aîné qui a tué. Il est devenu fou et s'est donné la mort, clame haut et fort la version officielle.- Mascarade ! crie le peuple. C'est l'armée qui a commis ce crime, l'ordre a été donné par le frère du roi qui veut prendre sa place.- L'armée est fidèle au roi. Assez de mensonges ! C'est un coup de force des rebelles maoïstes pour prendre le pouvoir, affirment d'autres.- Folie ! Les maoïstes veulent une démocratie et des élections. Ce sont les Américains qui ont fait assassiner le roi. Ils le trouvaient trop souple à l'égard des rebelles. Ils l'ont fait supprimer parce qu'ils veulent se débarrasser de la guérilla.- Les Américains n'y sont pour rien. Ils ont autre chose à faire. C'est l'Inde. Depuis le temps qu'elle cherche à piller nos terres et à contrôler nos fleuves.- Vous n'y êtes pas ! Ce sont les Chinois. Regardez ce qui se passe au Tibet. Ils sont prêts à tout pour s'emparer de Sagarmatha ! Ils veulent déplacer les frontières et nous voler le toit du mondeOn a cherché les coupables dans toutes les directions. En vain. Personne n'a pu dire qui avait massacré la famille royale. On a désigné tant de noms qu'on n'en a mis finalement aucun sur les ombres meurtrières du grand parc. Elles disparurent comme elles étaient venues.Ashmi et ses amies ont suivi la foule. Elles prient maintenant avec les milliers d'habitants de Katmandou. D'un élan commun, ils sont venus assister par milliers au dernier voyage de ce roi qu'ils aimaient parce qu'il avait distribué gratuitement des terres à ses sujets. Bien sûr celles-ci n'étaient pas idéalement situées, dans une forêt très dense du Teraï que les habitants de la région appelaient Chosmora, ce qui en langue népalaise veut dire «voleur», «tueur». Dans cette forêt on abandonnait les criminels de toutes sortes pour qu'ils soient dévorés par les tigres. Un cadeau empoisonné. Mais en s'acharnant les paysans népalais parvinrent à chasser les tigres et à rendre les terres cultivables. Le roi créa sa légende : celle d'un roi généreux. La violence de son assassinat fut un profond traumatisme. Les hommes se rasèrent le crâne et la radio diffusa en boucle une étrange musique funèbre. Dans toute la ville, la plus petite ruelle, cette musique créait une atmosphère bouleversante. Les gens pleuraient, interrogeaient le ciel. Qui succéderait au roi ? Et les ombres, qui étaient-elles ? Que voulaient-elles ? Reviendraient-elles ? Et quelles seraient leurs prochaines victimes ? Inquiet et révolté, le peuple manifesta sa colère et l'armée réagit violemment, fermant la ville et instaurant un couvre-feu.
