Extrait«Un petit ballon de côtes, s'il te plaît...»Accoudée au zinc, son sac à ses pieds, elle considéra l'assistance. À la table du fond, Franck, le fleuriste du bout de la rue, face à son interlocuteur habituel, épicier fin, s'énervait :«... alors je lui ai dit, tu sais comment je suis, hein, d'un bloc... Tu crois que j'ai du temps à perdre avec des pétasses pareilles... bon d'accord, elle a un beau cul, mais ça suffit pas quand même, on n'est pas des bêtes...»Valérie laissait vaguer son regard sur ce visage d'inconnu familier. Les sourcils bourrus, sauvages, les cheveux en taillis de ronces méchantes, quelque chose de pointu dans le regard et d'attrayant dans la grande mâchoire décidée. Pourquoi pas ? Pourquoi n'avait-elle jamais envisagé sous cet angle ce quasi-voisin ? Pas mal fabriqué le type : belles épaules, grosses mains articulées sur des poignets larges et osseux, joliment poilus, les os qui jouent comme des hanches sous la peau. Mais pas son style.Après tout, le style, pour ce que ça marchait. Et puis fleuriste, tout un programme ! Un type qui doit sentir la rose et le raphia mouillé.Elle essaierait bien, juste une fois, pour voir ce qu'il a dans le ventre, le fleuriste. De quel bois il se chauffe.Et pourtant elle n'a qu'un homme en tête en ce moment.Un seul, qui n'est pas là, soit, mais qu'elle trimbale du matin au soir comme une bonne chanson. Un tube.*Il est temps de vous renseigner sur la situation sentimentale de Valérie. Elle a plusieurs amants, mais un compte plus que les autres. Vous avez compris, c'est celui qui n'est pas là. Thaddée voyage. Il visite les lacs italiens avec sa régulière, sa fiancée en quelque sorte. Parti, Thaddée lui manque. Thaddée baise comme elle aime, l'appelle pour demander de ses nouvelles, n'est ni moche, ni bête, ni vieux, alors non seulement elle le garde mais elle le veut... Je crois que c'est tout.*Valérie calcula qu'il lui faudrait encore attendre trois semaines. Depuis qu'il était parti - elle avait commencé à compter les jours dès la première soirée d'absence - elle se rendait mieux compte de la place qu'il avait prise dans sa vie. Ils se voyaient quand lui pouvait, soit deux ou trois fois par semaine. En tout début de soirée. Il passait chez elle ou bien ils se retrouvaient à l'hôtel près de son boulot à lui. Une organisation souple, juste assez contraignante pour que Valérie puisse de temps en temps se plaindre. L'affaire s'était installée insensiblement. Une coucherie fascinante succédant à une étreinte bouleversante et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il ne soit plus possible ni pour l'un ni pour l'autre d'envisager de s'en passer. Deux années de bons et loyaux services partagés, d'escapades volées, de communication régulière. Un mot tous les jours, plus ou moins chaste, plutôt moins, par sms, histoire d'entretenir la flamme, voire de jeter de l'huile sur le feu.(...)