Un tapin réputé pour son sexe démesuré m'invite dans une cabine. Il ne me propose rien de particulier, veut juste que j'assiste, mais c'est une volupté qui m'échappe, au compte fébrile de son argent sur le petit banc de bois peint en bleu où tant de choses ont eu lieu depuis des années entre des types si différents que les souvenirs mélangés ne constitueraient qu'une confiture écoeurante. Il relève la tête et triomphe. Il est serbe ou quelque chose du genre et les gens qui le connaissent, à savoir tout le petit monde des cabines, le surnomment saint Michel. Je lui demande si son sexe est plutôt la lance du héros ou bien le monstre terrassé. Mihail ne connaît pas l'histoire mais répond sans hésiter le monstre parce que cela lui semble flatteur. Il hausse quand même les épaules et me trouve bizarre. De toute façon, il est maintenant regonflé à bloc pour aller travailler.Il y a quelques semaines un meurtre a eu lieu. La capacité d'oubli des cabines est infinie. Après un mois de fermeture, il n'y paraît déjà presque plus. Une superstition empêche les garçons d'ouvrir la porte derrière laquelle on a trouvé le corps et l'on remarque un peu plus de douceur dans leur approche des clients. Mais sur la porte d'entrée, à peine distingue-t-on encore la trace du Scotch apposé pour isoler la scène de crime. Il ne faudra pas longtemps pour qu'on oublie que quelque chose s'est produit. A moins qu'un coupable tout à coup surgisse et que la police résolve une énigme aussi étrange que celle de la chambre jaune - ce qui ne semble pas près d'arriver. Tout ce qui contrarie les plaisirs ici ne provoque qu'un brouillard vite dissipé.Si le mort pouvait parler, je ne sais pas au juste ce qu'il pourrait raconter. L'ai-je connu. A cette question, que répondre. Connaître comme on connaît les garçons des cabines, sans doute pas. Connaître comme un ami, non plus. Et pourtant, j'ai été le dernier à le voir vivant. Le dernier avant son meurtrier. Maintenant, ça n'a plus beaucoup d'importance. J'ai dit ce que je savais aux policiers. Mais quel meurtre, m'a demandé l'autre jour un des habitués qui n'avait pas suivi l'affaire. Il y en a toujours qui n'ont rien vu.Le mort a porté plusieurs noms ou surnoms suivant les périodes. Certains l'appelaient Professeur, d'autres Monsieur X, d'autres Salamandre, tiens tu as vu, Salamandre est encore là, j'ai entendu cette expression plusieurs fois sans comprendre le pourquoi de ce nom. Et en effet, je voyais apparaître la figure pâle de l'homme, et dans cette figure des yeux brûlants. Je peux déjà dire qu'à cette époque, avant les faits, je ne le plaçais pas sur le même plan que les autres clients. Sans doute en raison de ses goûts. Ou de son air de tristesse perpétuelle. Ou de ses mains de plâtre fin.