ExtraitPrivé de week-end, Réginald serait mort depuis longtemps. Son caractère avenant, sa noble hauteur de vue, sa capacité à rebondir après les épreuves, tout cela lui aurait déjà été enlevé pour être dispersé au vent de l'Histoire. Peut-être vaut-il mieux qu'il l'ignore, d'ailleurs, parce que sinon, Dieu sait ce qu'il ferait de ses fins de semaine.Pourtant, avec la distance qui est la nôtre, nous voyons bien que c'est là , pendant cette trentaine d'heures précises, que le masque tombe. Là , l'être respire, le coeur parle, et rendu à son métabolisme essentiel, Réginald Le Vaillant reprend sa véritable forme. C'est elle que nous devons rencontrer.Ce samedi vers quinze heures est donc un bon point de départ. S'enfonçant dans son plus confortable fauteuil, l'homme s'apprêtait à respirer un peu, avec l'espoir de rejoindre sans tarder le bon vieux métabolisme essentiel. La porte venait de se refermer sur Blandine et Athénaïs, sa femme et sa fille bien-aimées, parties écumer l'océan du commerce parisien. Ses autres enfants étaient loin. Ce matin, il avait trouvé, pour neuf euros, la dernière saison de Fridge - une histoire de cryogénisation planétaire en trente-deux épisodes avec George Clooney.Il n'avait pas oublié d'éteindre son portable et de décrocher le fixe.Le grand appartement était silencieux ; la température, douce pour la saison. La distance et le double vitrage atténuaient le doux ronronnement du boulevard Saint-Germain.Il pouvait raisonnablement espérer une heure de solitude pour savourer les péripéties du salut du monde par George Clooney.C'était un pur samedi après-midi.Il était bien.Il aurait voulu réussir à arrêter de fumer sans peine, et il restait encore, quelque part, une petite envie de tabac, mais pour le moment, rien d'insurmontable. Avec Fridge, ça devait passer.Non, il était vraiment bien.Si vous essayez d'apprécier les enjeux de ce moment décisif qu'est le week-end, Biaise Pascal peut vous aider. Il est le spécialiste du divertissement.En gros, selon lui, le divertissement est la manière la plus simple et la plus commune de passer à côté de sa vie. Or, explique-t-il, la société entière se ligue contre l'homme, ce roseau pensant, pour lui interdire la moindre concentration. Elle le distrait, l'agite, le perturbe, l'arrache à lui-même, bref, elle le divertit si bien que le roseau ne pense pas comme il devrait : il est en danger.Réginald ratifiait à fond l'analyse pascalienne. Trois cents ans plus tard, notre homme ne déplorait pas moins que le philosophe ce buzz permanent qui empêche chacun de se consacrer à la vraie vie et de retrouver tranquillement la forme en fin de semaine.