Marc, Mister Mike, de son petit nom africain respectueusement moqueur, est un amoureux lucide. Comme les femmes, l'Afrique, il la regarde dans les yeux. Envoûté mais pas idolâtre. Incorrigible, mais pas dupe. Couillonné, souvent, mais jamais à son insu. En poste à Buea, au Sud-Ouest du Cameroun, comme directeur d'une Alliance française en décrépitude et en proie aux luttes intestines, il brave réalité hostile et vents contraires, sans états d'âme superflus mais avec une propension salvatrice et consolatrice à la rétrospection. Et tandis que le pays s'enfonce dans la contestation, que la tension monte, que les violences explosent, que les villes sont bientôt mises à sac, c'est le saccage de ses sentiments, de ses illusions, qu'il inventorie sans coquetterie. Ainsi, sur un triangle qui relie Buea, Limbe et Douala, Marc Trillard fait-il son lecteur copilote d'une exploration intime du temps, des lieux et des rencontres de ce séjour intranquille. Exploration qui navigue entre pèlerinage et enfonçage de clous ; séjour aussi hanté qu'animé par une histoire d'amour à la sensualité aveuglante et à l'inanité vertigineuse. Mister Mike, monsieur le directeur à l'Alliance, doit prendre en main son poste, tenter d'asseoir une autorité relative au sein d'une équipe arquée sur ses prérogatives, dans un Cameroun où la francophonie est moins un enjeu qu'un pré carré asséché que se dispute une poignée de potentats sans flamme, et dans un climat qui ne laisse rien ignorer de l'épuisement de l'influence et du prestige de l'ancienne colonie. Mais le sourire et le corps de Gloria, la très belle, la très sexy, la très vide, illuminent et engloutissent bientôt ce quotidien rattrapé par l'absurde et par la violence. Baroudeur avisé, Mike/Marc, qui découvre la soudaine et dangereuse pente romantique de la cinquantaine, n'en est pas moins outrageusement baladé par cette étudiante aux desseins pragmatiques. Sans jamais perdre, dans l'ombre de ses propres errements, sa position de spectateur amusé : On est comme ça, note-t-il, l'attirance pour la condition humaine dans ce qu'elle vous donne à moudre, on ne peut pas le dire autrement. Et le voilà en train de moudre. Pour le lecteur, il y a dans Les Mamiwatas un confort paradoxal qui vient de la maîtrise tranquille et totale de l'auteur. Il y a aussi un vrai courage intellectuel, un refus des conventions simplistes et une justesse très exacte dans la description de cette fréquentation butée de l'irréconciliable étranger. Sur des images dont l'esthétique asséchée, brute et lumineuse, rappelle parfois le cinéma d'une Claire Denis, Marc Trillard déploie un récit-fleuve majestueux et affranchi, jamais dénué d'un humour doux-amer. Après bien des voyages, l'auteur d'Eldorado 51 et de Coup de lame rejoint Actes Sud avec un grand roman d'amour politique, d'une ampleur et d'un souffle peu communs.