Je n'aime pas passer par l'entrée principale. Il y a toujours des gens pour vous regarder d'un drôle d'oeil. Alors, juste avant la cabane des maîtres-nageurs, j'ai gravi la dune. En haut, j'ai fait une pause. Pour le paysage. Pour l'océan. Pour le contempler. Pour le respirer.La marée était haute. Les vagues se fracassaient sur la plage, leur couleur allait du vert émeraude au bleu nuit. Le ciel gris ardoise menaçait. J'ai sorti mon téléphone de la poche de mon blouson, J'ai pris quelques photos, puis j'ai ôté mes baskets. Je suis passée devant l'habituée du coin. Dès le printemps, elle s'installe dans la dune, de longues heures, quel que soit le temps. Souvent, elle lit. Parfois, elle m'observe. Ce jour-là, elle avait plaqué son parasol rouge contre la dune. Elle était couchée dessous. Deux pieds, un bout de serviette, un sac multicolore dépassaient.J'ai couru vers la mer. Le sable était doux sous mes pieds. Doux et propre. Il venait d'être nettoyé pour les hordes de touristes qui n'allaient pas tarder à débarquer. Le long de l'océan, j'ai marché, en respirant profondément son odeur. Une vague a mouillé le bas de mon jean. A part quelques promeneurs et leurs chiens, un groupe de surfeurs, deux ou trois pêcheurs, la plage, immense, était déserte. Quand je suis passée devant lui, Bertrand, notre voisin, casquette vissée sur le crâne, tirait sur sa canne à pêche. Il m'a saluée d'un :- Salut Brune, ça va ?Un signe de la tête puis j'ai gravi la dune de la plage sud. À cet endroit, la vue est incroyablement dégagée. Côté terre, le terrain de golf s'étale entre la forêt et l'océan. Le soleil a percé les nuages et a éclairé la pelouse. L'herbe a viré au vert vif, avant de retomber dans l'ombre. Côté océan, la marée montait et réduisait la plage à un bandeau de sable clair. De mon sac à dos, j'ai sorti un carnet de croquis, des feutres à alcool, de l'encre de Chine, des pinceaux à réservoir d'eau. J'ai pris le temps d'observer les vagues, le ciel, l'horizon. La limite entre l'air et l'eau était bien visible, lumineuse et claire comme un faisceau bordé d'un trait sombre, presque noir, peut-être grenat. J'ai pris quelques photos, puis j'ai tracé plusieurs esquisses. Enfin, sur une double page, j'ai planté les grandes lignes du paysage. L'horizon, la dune et la plage. Cela faisait des mois que j'essayais de restituer le mouvement de l'océan. Mon geste avait gagné en assurance, mais je n'étais pas totalement convaincue par le résultat. J'ai encré, fait un lavis. J'avais presque fini quand le tonnerre a grondé. Quelques éclairs. Une goutte s'est écrasée sur mon dessin. L'encre s'est délayée. De la manche de mon blouson, je l'ai épongée. Puis, sans attendre, j'ai ramassé mes affaires, j'ai rejoint le chemin côtier. Quand je suis arrivée devant l'hôtel de l'Océan, il pleuvait à seaux. J'ai foncé vers la maison, mon sac à dos plaqué contre mon ventre pour protéger mon carnet. Dès que j'ai ouvert la porte, Maylis m'a appelée.- C'est toi, Brune ?