LA SIBÉRIEÇa fait combien de jours que papa nous a déposés chez Gilles et Jeanne, à La Sibérie ?Treize, je crois.Quinze, selon Quentin.«Vous y serez un certain temps», nous a prévenus papa. «Combien de semaines ?» a demandé Quentin. Papa ne lui a pas répondu, pour la bonne raison qu'il n'en savait rien. Il nous a seulement dit qu'à La Sibérie nous allions nous amuser mais aussi nous rendre utiles. Puis il nous a priés de ne pas lui téléphoner et de rester optimistes. Quand il appelle, il nous donne des nouvelles de maman et il en prend des nôtres. Il n'appelle pas souvent et ne s'attarde jamais, il n'aime pas qu'on soit pendus pendant des heures au téléphone.Nous avions déjà rencontré Gilles et Jeanne chez eux, et chez nous à Reims. Gilles est le meilleur ami de papa, il est resté longtemps célibataire avant de se marier avec Jeanne.C'est pour maman que nous devons être optimistes, pour son coeur qui lui fait des caprices. Le médecin s'est entretenu plusieurs fois avec elle et la voici à l'hôpital Marie Lannelongue du Plessis-Robinson, elle y subit les derniers examens. Ensuite, ils la garderont. Cet hôpital est réputé, elle va y retrouver un coeur neuf, sa respiration de jeune fille.Avant de partir, elle m'a serrée fort dans ses bras : «Au revoir, Fanny.» Je lui ai souri, mes lèvres tremblaient. Quentin lui a lancé : «À demain, maman.» Elle a répondu en l'embrassant : «Oui, oui, à demain, et vous verrez qu'on y sera vite.» Chaque fois qu'on doit se séparer pour longtemps, Quentin a toujours la même formule : «À demain.» C'est une bonne formule parce qu'elle marche à tous les coups et qu'elle nous fait rire.Maman aurait voulu retarder cette intervention. Elle n'avait pas envie de nous quitter. Pas envie non plus de laisser la boutique de lingerie «Belles de nuit» qui lui sert en même temps d'atelier de retouches et qu'elle vient d'ouvrir avec son amie Héloïse.Papa est chez des cousins, tout près du Plessis-Robinson. Comme il ne pouvait pas nous prendre avec lui, il nous a déposés chez Gilles et Jeanne. «La Sibérie», un drôle de nom pour une ferme, je trouve.