C'est l'heure de pointe. Du moins pour moi. Notre cours de dessin de l'après-midi a eu lieu en plein air et je suis resté après les autres, ce qui m'a mis en retard. Je sors du métro à Skanstull et je me fraye un passage à travers la foule.Comme d'habitude, je jette un regard dans la vitrine de la poissonnerie Göta Fisk. Il y a une pub pour du chien de mer. Tout en traversant Götgatan je me demande comment on cuisine le requin. À la poêle ou au court-bouillon ?Deux types dans une Peugeot 306 cabriolet me sortent de mes réflexions en klaxonnant et je saute sur le trottoir avec mon carton à dessins plein de croquis sous le bras.C'est la première voiture décapotable que je vois cette année et je me fais la réflexion que l'été ne va pas tarder. On est mi-avril, l'air est doux et un soleil pâle, presque argenté, brille sur le quartier de Söder.Cela explique peut-être pourquoi je ne la vois pas. Mes pensées sont trop occupées par l'été qui attend, par mes projets et par une petite inquiétude qui me ronge.Tout d'un coup, je heurte quelque chose et je sens une douleur foudroyante dans mon pied droit. Je me retrouve à quatre pattes avec un million d'anges blancs voltigeant de façon incontrôlée autour de moi. Je dois avoir l'air complètement ridicule.Je me rends vite compte que les anges sont en fait mes feuilles de dessin que le vent est en train d'emporter le long de Gôtgatan. Un monceau de livres de bibliothèque gît sur le trottoir et c'est là que je prends conscience de la présence d'une fille en fauteuil roulant à côté de moi. Visiblement agacée, elle me siffle :- Fais gaffe, merde !Quelques passants se sont arrêtés et tentent maladroitement d'attraper les feuilles volantes, tandis que moi, toujours à quatre pattes, je me mets à ramasser les livres. On dirait que j'ai heurté un bibliobus.Tout ça c'est ma faute. J'ai dû foncer droit dans le fauteuil quand je me suis réfugié sur le trottoir.- Je suis vraiment désolé, je lui dis en remettant les livres sur ses genoux.Ce n'est que lorsqu'elle tourne son regard timide et triste vers moi que je vois qui c'est.- Mary-Lou ! je m'exclame.Élégamment vêtue, elle a une jolie coupe au carré. Ce n'est plus du tout la même. De toute évidence elle ne m'a pas reconnu, ce que je peux comprendre.- Adam ! je dis. C'est moi, Adam, ton voisin de vacances !