slalome, dérape entre les voitures stationnées. Que j'en touche une seule, son alarme va se mettre à hurler et je me ferai repérer. Je fonce entre les carrosseries, évite les îlots de lumière sous les lampadaires. Ce parking est trop grand, c'est du délire ! Et le vigile derrière qui me lâche pas. Je l'entends jurer, encore heureux qu'il n'ait pas de clébard. La peur me donne des ailes. La musique des haut-parleurs puise ma course. J'arrache sur mon passage une guirlande qui pendouille d'un poteau. Les ampoules éclatent sur mes talons. Enfin j'atteins le bout du parking. Je prends mon élan, passe le muret, atterris au milieu des bagnoles sur une voie d'accès au centre commercial. Coups de frein, coups de klaxon, chien perdu, je vais crever ! Un fourgon pile, son conducteur hurle. Je me redresse dans ses phares, bondis par-dessus la rambarde centrale. Je remonte les véhicules arrêtés pare-chocs contre pare-chocs. C'est pas vrai, les autoroutes de toute la région se déversent sur ce parking ! Filer, sans reprendre mon souffle. M'échapper.La honte me brûle. Devant moi, au bout de la zone commerciale, y a la mer. Le large. Ce soir, personne ne va y aller.Le 24 décembre, ils sont tous au centre co. Ils se croient les rois du monde avec leurs cartes de crédit et leurs caddies remplis. Je ne les envie pas. Ma mère, elle se trompe quand elle pense ça.On dirait que le vigile a renoncé à me poursuivre, mais je me méfie de ce vicieux. J'accélère. Je vais à la crique au rocher.Je fourre les poings dans les poches de mon blouson, j'ai la rage, les coutures craquent. La honte me rend furieux, me fait mal. Ma mère, jamais je n'aurais dû la suivre dans la galerie commerciale. Dans les vitrines, tout est trop cher, c'est pas pour nous. Nous, on fait partie des pauvres de la ville, c'est comme ça. Je me coule le long des hangars aveugles, les derniers avant la mer. Je suis seul, plus aucune voiture ne va dans ma direction. Le choc de mes baskets sur le bitume résonne dans mon cerveau. Sur la crique, je vais pouvoir disparaître.Une douleur me transperce au côté. Je me plie en deux, cherche ma respiration. Je tousse, souffle coupé. Crache. Ma mère, elle veut pas que je crache. Elle m'éduque pour que je sois bien élevé, tu parles ! Et elle, alors, qui fait n'importe quoi ! Je me retourne vers la cause de mon malheur. Dix étages dégoulinants de lumières, des milliers d'ampoules électriques qui bouffent le ciel nocturne. Au pied du centre commercial, des myriades de phares tracent leurs circuits scintillants. La monstrueuse mygale phosphorescente écrase tout sous elle. Sa vue me file la nausée. Quel gaspillage d'énergie, notre planète n'en fournira bientôt plus et tout le monde s'en moque !