J'ai eu quinze ans moi aussi. Quelque temps après, j'ai lu un livre dont je me rappelle encore le titre : L'été de mes quinze ans. L'histoire d'une fille qui voyait sa vie basculer en deux-trois mois, le temps d'un été.J'ai adoré ce livre. En le refermant, je me suis dit : «Ce n'est rien à côté de ce que j'ai vécu, l'été de mes quinze ans. Un jour, je raconterai...»J'ai repoussé ce moment le plus possible. Je me doutais des souffrances que cela pouvait faire resurgir, des peines, et, en règle générale, j'essaie plutôt de me souvenir des choses belles et gaies. Mais des choses belles et gaies, il y en a eu aussi, cet été si particulier...1Beaux-Arts- Traits, lignes, volumes ! Ce n'est pas un corps que vous dessinez, c'est un ensemble de formes géométriques, répète Ulrich, notre professeur de modèle vivant. La nature ne se comprend pas en détail mais en formes géométriques ! C'est l'approche des vacances qui vous fait tout oublier ? Carole ! Plisse les yeux ! Que vois-tu à présent ?Je n'ose pas décevoir le bel Ulrich, alors je réponds à tout hasard :- Je vois des formes géométriques... hum ! des carrés, des rectangles...Je sors mon joker.- Un losange ?- Mais encore ? Il faut fermer les yeux pour mieux voir, c'est le paradoxe de l'art. Voilà, garde bien les yeux mi-clos jusqu'à ce que tout devienne flou. Je veux que les détails disparaissent. Concentre-toi. Et efface-moi immédiatement cette chose, là, au milieu de la figure !- La bouche ?- Ce n'est pas une bouche, voyons ! Je voudrais que vous arrêtiez, tous, de raisonner de façon aussi prosaïque, dit Ulrich en élevant le ton afin que toute la salle puisse profiter de sa remarque.Puis s'adressant à moi, plus bas :- Alors, que vois-tu vraiment ?Les yeux à demi fermés, j'observe Julie, notre modèle, qui pose nue devant nous, légèrement en appui sur un bras, assise sur un canapé défraîchi surélevé sur une estrade. A force de cligner des yeux, je vois la bouche de Julie se transformer en long triangle, un peu aplati...Je clame :- C'est un triangle, un triangle !- Alors trace un triangle, conclut Ulrich. Dessine ce que tu vois et non ce que tu sais.Assise juste à côté de moi, Céline me tend sa gomme mie de pain.- Tu veux effacer ?- Non, non, ça va aller.(...)