L'ORIGINE DES ESPÈCESLorsqu'un jeune naturaliste aborde l'étude d'un groupe d'organismes qui lui sont entièrement inconnus, il est tout d'abord très embarrassé pour déterminer les différences qu'il doit prendre en considération... car il ne sait rien de la nature ni de l'étendue des variations auxquelles ce groupe est sujet...En 1899, nous avions appris à maîtriser l'obscurité, mais pas la chaleur du Texas. Nous nous levions dans le noir, plusieurs heures avant le soleil, lorsqu'une vague traînée indigo apparaissait dans le ciel vers l'est et que le reste de l'horizon était toujours plongé dans la nuit. Nous allumions nos lampes à pétrole et les tenions devant nous dans l'obscurité comme de petits soleils vacillants. Toute une journée de travail devait être terminée avant midi, quand la chaleur massacrante ramenait tout le monde dans notre grande maison aux volets clos. Nous nous couchions alors dans la pénombre des vastes pièces aux plafonds hauts, comme des victimes en sueur. Le remède habituel de notre mère, consistant à vaporiser de l'eau de Cologne sur les draps pour les rafraîchir, ne faisait de l'effet qu'une minute. A trois heures de l'après-midi, quand il fallait de nouveau se lever, la température était toujours mortelle.La chaleur était dure pour tout le monde, à Fentress, mais c'étaient les femmes qui en souffraient le plus, dans leurs corsets et leurs jupons. J'étais encore un peu trop jeune pour subir cette forme de torture uniquement réservée aux femmes. Elles desserraient leur corset après des heures de contrainte, et poussaient un soupir de soulagement, maudissant la canicule, et leurs époux aussi, qui les avaient entraînées dans le comté de Caldwell pour y planter du coton et des hectares de pacaniers. Ma mère abandonnait provisoirement ses cheveux postiches, une fausse frange crêpée et un rouleau en crin de cheval, à partir desquels elle dressait chaque matin ses propres cheveux en un savant échafaudage. Ces jours-là, quand nous ne recevions personne, il lui arrivait même de coller sa tête sous la pompe de la cuisine et de laisser Viola, notre cuisinière quarteronne, pomper l'eau jusqu'à ce que mère soit complètement trempée. Elle nous interdisait d'une voix sans réplique de rire devant ce spectacle ahurissant. Lorsque notre mère abandonnait ainsi sa dignité à la chaleur, il valait mieux ne pas nous trouver sur son chemin - il ne nous fallut pas longtemps (et à notre père non plus) pour le découvrir.