Extrait du préambule Où l'on commence par une parenthèsePar un étrange concours de circonstances, Jonah avait fait connaissance avec Samo et Hazel, deux esprits errant dans le territoire des morts. Leur rencontre avait été accidentelle et le jeune garçon dut accepter leur présence à l'intérieur de son crâne. Les deux hommes étaient morts depuis longtemps, mais le souvenir de leur vie passée était toujours intact dans leur mémoire. Comme un voyage à travers l'Histoire. Dans un premier temps, ils en firent le récit à Voix A et Voix B.En voici les grandes lignes.La vie de SamoLe village où naquit Samo s'appelait Zuan. Il était niché dans une petite vallée, et il fallait compter trois jours d'un voyage pénible à dos d'âne pour y parvenir. Zuan se trouvait dans un pays de l'autre côté de l'océan, dans la direction du soleil levant. Les habitants y avaient le teint cuivré et arboraient un sourire qui paraissait permanent.Samo naquit un jour de pluie. Du moins, si l'on se réfère à ce que lui raconta sa mère plus tard car, bien évidemment, il n'avait aucun souvenir du jour de sa naissance.- La pluie tombait comme un torrent, lui avait-elle dit, on avait l'impression qu'un véritable mur d'eau s'abattait du ciel et qu'il était impossible de le franchir.En entendant ces mots, Samo séchait ses larmes, car bien souvent sa mère évoquait cet épisode quand Samo pleurait. Il en oubliait aussitôt son chagrin et grimpait sur ses genoux pour l'écouter attentivement.- C'était une pluie diluvienne qui présageait la pire des catastrophes, poursuivait-elle, une inondation, un déluge, le recouvrement total de toute la surface terrestre par les eaux. Mais il n'en fut rien. Bien au contraire.À ce moment du récit, elle se mettait alors à caresser doucement la tête de son enfant.- Bien au contraire, répétait-elle, bien au contraire.Les paroles de sa mère avaient le pouvoir de dissiper tous ses malheurs. Et des malheurs, on pouvait dire qu'il en avait. Ou plutôt, il en avait un, et pas des moindres : Samo avait tout le temps faim.Son enfance aurait pu se résumer à son appétit hors norme. À la quantité incroyable d'aliments qu'il pouvait ingurgiter quotidiennement. Et à son tour de taille. Samo était gros. Très gros. Il était aussi très turbulent.Un jour, son père vint le trouver et lui dit :- Samo, ça ne peut pas durer comme ça éternellement, il faut que tu apprennes à canaliser ton énergie, et aussi à refréner ton appétit.Le garde-manger était effectivement pratiquement vide et la question de passer l'hiver commençait à se poser sérieusement.- Je connais un monastère, continua le père, là-haut, un peu plus loin sur la colline. Il n'est habité que par un seul moine, réputé pour sa grande sagesse. Lui saura te conseiller là où moi, je le reconnais, j'ai complètement échoué.