ExtraitL'Annoncement des Ombres blanchesLe cri qui fit sursauter Banky dans la pénombre semblait bien trop fort pour avoir été lancé par l'un des rats qui infestaient le tas d'immondices sur lequel il évoluait.Il leva la tête, scruta avec inquiétude la masse grouillante de détritus. Une faune infecte et venimeuse s'affrontait pour des ordures que la décomposition faisait fumer dans l'air glacé du soir, et il valait mieux être prudent ; il n'avait pas très envie de perdre un pied sous la morsure des rongeurs, ni de se faire attaquer par un blaireau en cherchant un éventuel objet de valeur. Mais les rats qui se battaient comme à l'accoutumée n'eurent pas un regard pour lui, et il reprit sa fouille méthodique du bout de son bâton, en s'efforçant d'ignorer la pestilence de l'endroit.Le cri se reproduisit. Il avait quelque chose d'humain qui fila la chair de poule à Banky, plus que s'il s'était simplement agi d'un animal. Il n'avait jamais été très courageux, et se demanda s'il ne valait pas mieux rentrer immédiatement auprès de son frère. Le visage narquois de son jumeau se matérialisa devant ses yeux, et il dut se faire violence pour ne pas céder à son impulsion.Il enjamba prudemment les ordures en direction du cri ; il lui fut difficile de discerner, au milieu des déchets, ce qu'il y avait d'humain dans le petit tas gesticulant qui émettait ce son étrange. Il s'arrêta à une foulée, le coeur battant, comme s'il eût été dangereux d'avancer plus.A moitié recouvert de déjections en tout genre, encerclé par les rats affamés que les cris parvenaient encore à tenir à distance, il y avait un bébé. Et ce bébé, à en juger par le cordon qui pendait encore sur son ventre, n'avait pas plus de deux heures de vie à son actif.Spontanément, Banky jeta un coup d'oeil alentour, cherchant à apercevoir la mère, mais il savait au fond de lui qu'elle s'en était retournée auprès des siens sans un regard pour son enfant.Il fit jouer son bâton pour chasser les animaux et se pencha sur le bébé. Ses cheveux étaient rares et gluants, collés sur son crâne, sa peau était grisâtre et plissée sous la saleté, et il s'était fait plusieurs entailles à gesticuler au milieu des tessons de poterie. Il était entièrement nu, encore humide ; Banky se dit qu'il serait déjà mort de froid s'il n'avait pas été réchauffé par la putréfaction des ordures.