C'est l'histoire d'une ville, c'est l'histoire d'une fille, c'est l'histoire d'un vol. Je séjournais dans la ville, j'enquêtais sur le vol, j'étais persuadé que la fille n'y était pour rien. J'avais pas loin de treize ans et j'avais faux. Faux sur toute la ligne. J'aurais dû me demander : «Pourquoi aller raconter qu'on vous a volé un truc quand ce truc n'a jamais été à vous en réalité ?» Au lieu de quoi, je me suis posé la mauvaise question - quatre mauvaises questions au bas mot. Ce qui suit est le rapport détaillé de la première.La Ciguë, Salon de thé, Carterie est le genre d'endroit où le sol colle aux semelles même quand il est propre. Il n'était pas propre ce jour-là. Rien de ce qu'on vous sert à La Ciguë n'est consommable, et surtout pas les oeufs au plat, sans doute les pires du pays, même en comptant ceux du musée du Mauvais Breakfast, qui montrent au visiteur jusqu'où on peut mal cuisiner les oeufs. La Ciguë vend du papier qui boit l'encre et des stylos qui crachent, mais le thé y est buvable, et la boutique est située juste en face de la gare, ce qui en fait un endroit correct pour aller s'asseoir avec ses parents avant de prendre un train et de filer vers une nouvelle vie. Je portais le costume qu'on m'avait offert pour mon diplôme. Il avait dormi dans mon placard des semaines durant, pendu là comme un corps vide. J'avais soif et le moral en berne. A l'arrivée du thé, un moment, je ne vis plus que le nuage de vapeur. J'avais dit au revoir à quelqu'un très vite, je regrettais de ne pas y avoir consacré plus de temps. Je me répétais que ce n'était pas grave, que le moment était mal choisi pour ruminer. Tu as du boulot, Snicket. Pas le temps de faire la tête.Tu vas la revoir bientôt, de toute manière, me disais-je. À tort.Puis le thé fumant cessa de fumer et je regardai ceux qui m'accompagnaient. C'est toujours un peu déroutant d'observer ses proches et d'essayer d'imaginer comment les voient les étrangers. J'avais devant moi un homme baraqué, pas très à l'aise dans son costume marron bouloché, et une femme qui pianotait du bout des ongles sur la table, sans discontinuer - galop de cheval miniature. Elle avait une fleur dans les cheveux. Tous deux souriaient, lui surtout.«Tu as tout ton temps avant ce train, mon garçon. Tu veux manger un morceau ?- Non merci.- Nous sommes si fiers de notre petit garçon, tous les deux», dit la femme. Un observateur attentif l'aurait peut-être jugée nerveuse. Ou peut-être pas. Elle cessa de pianoter pour me passer une main dans les cheveux. J'allais avoir besoin d'une bonne coupe. «Tu dois te sentir tout excité, tout chose.- Un peu, je pense.» Je ne me sentais ni excité ni chose. Je ne me sentais rien du tout.«Mets ta serviette sur tes genoux.- C'est fait.