Mercredi 4 décembre 1918Sa robe soulevée jusqu'à la naissance de ses bottines crottées, vraiment cela ne faisait pas sérieux. Claire le pensait bien, mais s'en moquait. De toute façon elle était pressée et personne ne levait les yeux sur elle. Elle avait bien plus peur que la pluie ne fasse boucler ses cheveux de novice. Claire les ramena sous son foulard d'un geste vif. La dureté de l'air glacé dans sa poitrine se faisait sentir, mais elle ne ralentit pas.Les soldats qu'elle dépassait arrivaient des derniers hôpitaux de campagne qui les renvoyaient chez eux, maintenant que la guerre était finie. Finie était un bien grand mot quand elle les voyait dans les ambulances. Ils arrivaient comme ce matin, par vagues, en train, tous ensemble, comme s'ils obéissaient une dernière fois à un ordre lointain, rentrer à Annecy. Elle se disait que l'hiver était la saison qui convenait à la désolation. Des hommes marchant seuls dans l'angoisse de retrouver leur famille. Lors de leur première arrivée, elle les espérait chantant presque leur joie d'être de retour, mais elle avait vite compris le silence obstiné de ces survivants.Elle hâta son pas. Il fallait qu'elle arrivât avant eux pour les orienter. Être là, tout simplement. La pluie était plus fine à présent, mais le froid ne lui parut que plus intense. Elle glissa, se rattrapant au bras d'un soldat qui lui sourit à peine. Elle s'essoufflait un peu et ses joues lui semblaient amidonnées. Au bout du chemin, les portes de l'hôpital étaient ouvertes et les premiers soldats entraient déjà dans la cour. La longue colonne d'uniformes trempés avançait. En la voyant ils s'écartaient, lui cédant le passage sur les pavés. Parfois l'un d'eux la taquinait. Alors elle s'arrêtait pour chahuter avec lui, si heureuse de voir la vie continuer, pour certains, juste un instant. --Ce texte fait référence à l'édition Broché .