De cela, je m'étais toujours souvenu : les rideaux à fleurs de leur chambre à l'étage, bien fermés ; le nouveau ballon de basket de Jamie à la lisière du jardin, luisant sous la pluie ; le soutien-gorge blanc traînant dans l'herbe derrière la maison, le reste de nos vêtements, mouillés et immobiles, suspendus à la corde à linge.De cela aussi, je me souvenais : deux hommes assis côte à côte, à l'avant d'une voiture, celui qui est au volant est le plus jeune, le plus petit, et nu-tête ; l'autre porte un feutre gris, respire fort, et fume. C'est le plus âgé qui parle le premier en ôtant ses lunettes à monture d'acier dont il essuie les verres avec un mouchoir blanc tandis qu'il se retourne sur son siège pour me faire face. Avant Rebecca, j'étais incapable de me rappeler ce qu'il m'avait dit alors, ce qui ne m'empêcha pas, au fil des années, d'échafauder toutes sortes de suppositions, répliques sans doute glanées à la télévision ou au cinéma qui ne me semblaient jamais sonner tout à fait juste.Avant Rebecca, je ne savais même plus combien de temps j'étais resté assis à l'arrière de cette voiture, pourtant j'ai toujours gardé le sentiment d'avoir vu la lumière changer, phénomène qui n'avait pu se produire que très lentement, à mesure que le soir tombait. Je me souvenais de la grisaille qui s'intensifiait autour des arbres dénudés de l'automne. Je revoyais même les ombres qui s'étiraient et s'élargissaient pendant que les heures passaient, mais étant donné l'épaisse couverture nuageuse de cette fin d'après-midi-là, cela ne pouvait pas correspondre à la réalité. Pourtant, cette fausse impression d'ombres qui s'agrandissent perdura au fil des années, forte, tenace, alors que d'autres choses, infiniment plus importantes, en vinrent à se brouiller et à s'effacer. --Ce texte fait référence à l'édition Broché .