Extrait du prologue Oural (URSS), 1981Quand le hurlement strident se propagea entre les parois inclinées de la mine de cuivre, à trois cents mètres de profondeur, Maxime Nikolaïev posa sa pioche et s'essuya le front. Il inspira profondément, et la poussière toxique pénétra dans ses poumons déjà bien infestés. Il ne s'en rendait même pas compte, ou bien il s'en fichait. La seule chose qui l'intéressait pour le moment, c'était la pause de la mi-matinée. Il était au travail depuis 5 heures du matin.Tandis que les derniers échos de la sirène s'évanouissaient autour de lui, Maxime entendit, au loin, le bruit de la rivière Miass. Elle lui rappelait son enfance, quand son oncle l'emmenait se baigner dans un endroit retiré des faubourgs d'Ozersk, à l'abri de la fumée grise que vomissait vingt-quatre heures sur vingt-quatre le complexe métallurgique de Magnitogorsk.Il se rappelait l'odeur des pins, si hauts qu'ils semblaient toucher le ciel. La tranquillité de l'endroit lui manquait.L'air pur lui manquait encore plus.Une voix retentit, un peu plus bas dans le tunnel :- Hé, Mamo, ramène tes fesses. On joue pour un coup avec la fille de Gregori !Maxime détestait ce diminutif et, de façon plus générale, la stupidité de Vassili, mais ce connard maigrichon s'offusquait de la plus légère provocation. Il se contenta donc de sourire au groupe d'hommes, posa sa pioche sur son épaule musclée et s'approcha nonchalamment des trois autres mudaks déjà installés à leurs places habituelles.Il s'assit à côté du malheureux Gregori. Maxime n'avait posé les yeux qu'une seule fois sur sa fille, quatre ans plus tôt, à une fête de nouvel an : elle était effectivement d'une beauté saisissante, et il ne doutait pas une seconde qu'elle trouverait bien mieux que n'importe lequel des losers pathétiques qui se trouvaient avec lui, dans la mine de cuivre n° 7 du district de Varnenski, oblast de Tcheliabinsk.Maxime sortit de sa poche une petite flasque (infraction passible d'une punition) et en avala une lampée. Il savait que les autres buvaient l'équivalent en vodka d'un jour de salaire dans les deux heures séparant le moment où l'autocar les déposait dans les faubourgs de Varna et celui où ils rentraient se coucher. Maxime, le seul du groupe qui fut originaire du coin, tenait son rythme toute la journée avant de rentrer droit chez lui pour retrouver sa soeur infirme et les trois grands enfants de cette dernière. Il n'avait pas l'air de s'inquiéter outre mesure à l'idée d'être surpris en train de boire de l'alcool au travail, pas même ce jour-là, alors que ses camarades et lui avaient remarqué un grand camion gris, aux vitres couvertes de gel, garé près de l'entrée de la mine. Le genre de camion qui contenait généralement, fixée au sol, une rangée de bureaux et de sièges métalliques. Un bureau mobile de l'Inspection de la Productivité, il le savait. Non sans égoïsme, peut-être, il accueillerait avec plaisir le changement de décor, après dix-sept ans passés à travailler dans la même mine et à élever la progéniture ingrate de quelqu'un d'autre. Un camp de travail de Sibérie ne serait pas vraiment pire.