Extrait de l'avant-propos L'exigence de justice nous est familière dans le cadre social. Elle y prend la forme des politiques de redistribution : faut-il transférer, dans une société donnée et compte tenu des écarts entre les conditions de vie, une partie des ressources des plus riches vers les plus pauvres ? Comment, dans quelles proportions, à quelles conditions, selon quel type de répartition ?Ces politiques, que nous appelons sociales, donnent certes lieu à des débats et à des clivages : nous défendons ainsi des modèles sociaux différents, ou du moins des variantes d'un modèle social que nous tenons pour un héritage de notre histoire collective. Corrélativement, nous nous réclamons les uns et les autres d'une certaine conception de l'État-providence. Au demeurant, nous n'ignorons pas qu'il y a plusieurs types d'État-providence dont chacun se trouve ancré dans des choix de valeurs propres à certains pays ou groupes de pays.Reste que, comme tel, le principe de l'État-providence ne fait plus guère question aujourd'hui. Même sa critique néolibérale se garde bien de le remettre en cause radicalement. Une société sans protection ou sécurité sociale, sans redistribution aucune des produits de la croissance (quand il y en a), évoque pour nous davantage l'état de nature qu'une société humaine.Le point de départ de cet ouvrage tient au fait que, cependant, l'état de nature continue d'exister.Parfois au sein même des sociétés où, malgré les innombrables interventions de l'État-providence, il se trouve, dans les interstices de celles-ci, des espaces de très grande pauvreté. Sans domicile fixe (SDF), sans-abri même, travailleurs pauvres en emploi précaire constituent les catégories qui illustrent ici la très grande pauvreté : près de 100 000 actuellement en France, pour autant que l'on puisse recenser des personnes sans adresse postale, en partie nomades, évoquant, dans une société d'abondance, des poches d'état de nature.L'état de nature existe plus encore et massivement dans les relations entre les États, les régions, les continents du monde.270 millions de morts, entre 1990 et 2005, sous l'effet de l'extrême pauvreté. 18 millions de victimes, un tiers des décès mondiaux par an.Ces données et d'autres correspondent pour l'essentiel à la radicalisation des inégalités entre ce que, par convention, on désigne encore souvent, et pour simplifier, comme les pays du Nord et ceux du Sud. L'introduction de ce livre va nous confronter d'emblée aux données plus précises de cet état de nature du monde.Faut-il, dans un contexte aussi cruel, que les États les mieux nantis s'emploient à remédier à la situation des plus démunis ? Selon quelles modalités ? En fonction de quelles obligations et de quelles motivations ? Quel peut être, au plan global ou mondial, l'analogue de ce que sont les politiques sociales au sein d'une société ? Un tel analogue est-il même simplement envisageable lorsqu'il s'agit du développement économique, social, éducatif, médical, culturel des pays les plus pauvres ?