ExtraitChanger la vieNous sommes confrontés à une crise sans précédent. Climatique et environnementale d'abord : la température de la basse atmosphère terrestre a grimpé d'environ 0,8 °C ; l'acidité des eaux des océans s'est accrue de 25 %, modifiant les réactions de la photosynthèse et menaçant la vie des planctons sur lesquels repose toute la chaîne alimentaire marine ; le niveau moyen des mers s'est élevé de dix-sept centimètres ; les phénomènes extrêmes (canicules et pluies diluviennes) s'accroissent; les rendements de certaines grandes cultures (comme celle du blé en Europe) stagnent voire reculent du fait de ces altérations ; les concentrations de gaz à effet de serre, dioxyde de carbone (C02) et méthane (CH4), augmentent sans cesse. Crise sociale aussi, avec ses millions de chômeurs, des activités diverses qui s'écroulent comme des châteaux de cartes et des boutiques qui ferment sans cesse. Les menaces sur l'emploi ne viennent pas que de l'absence de travail mais aussi de la robotisation accrue. Un numéro du Time d'avril 2013 fait sa couverture sur des robots informatisés sculptant un sigle en métal made in USA, et titre : «L'industrialisation est de retour mais où sont passés les jobs ?» De tout cela Jean-Claude Guillebaud fait l'analyse qu'«à la racine de l'inquiétude contemporaine existe d'abord le sentiment d'être littéralement emportés». Évoquant la «perte» que nous redoutons, il dit encore : «Les périls qui nous menacent sont assez faciles à identifier; le retour à grande échelle des inégalités entre les hommes ; le triomphe d'une "pensée du nombre" réductrice et antihumaniste ; l'évanouissement de notre représentation de l'avenir, c'est-à-dire de l'espérance ; la solitude inquiète d'un moi barricadé ; la tentation du repli dans les identités querelleuses... Sans parler de ce manque de spirituel que chacun ressent au fond de lui-même comme le creusement d'un vide.»Nous avons donc le sentiment d'être les jouets de logiques incontrôlables. Tout cela crée une angoisse vraiment existentielle, un sentiment d'à-quoi-bon et un pessimisme ambiant qui plombent les capacités de réaction et de créativité. Or celles-ci existent et il faut les mettre en oeuvre. Mais pour ce faire les solutions extérieures ne suffisent pas. Il faut aussi lutter contre le négativisme à l'intérieur de soi-même et privilégier, selon le mot de Nietzsche, «au lieu de l'intention de négation, l'intention de remplacement». Combler le vide. Éclairer ce «tunnel noir de l'avenir» dont parlait l'historien François Furet.Face à la difficulté de changer de vie, ce vieux rêve des soixante-huitards, le philosophe allemand Peter Sloterdijk reprend une formule de Rilke comme titre d'un ouvrage fondamental pour la réflexion actuelle : Tu dois changer ta vie. Il y cite un autre philosophe décapant, Wittgenstein, qui en 1937 notait : «Que la vie soit problématique, cela veut dire que ta vie ne s'accorde pas à la forme du vivre. Il faut alors que tu changes ta vie, et si elle s'accorde à une telle forme, ce qui fait problème disparaîtra.» Géniale façon de dire que les solutions se trouvent aussi en nous-mêmes et dans une façon positive de les appréhender. Se référant à cette grande révolution culturelle et spirituelle qui toucha l'humanité à partir du Ve siècle av. J.-C. aussi bien en Grèce qu'en Inde et en Chine (Socrate, Platon, Bouddha, Lao Tseu sont, au sens large, contemporains de cette période et donnèrent chacun à leur façon des clés pour faire évoluer l'existence humaine et lui donner sens), Sloterdijk écrit : (...)