ExtraitVie de ShankaraparT. M. P. MahadevanL'âge qui vit l'avènement de Shankara n'était pas différent du nôtre, âge de troubles et de conflits, de désert spirituel et de discorde sociale. Le pays était sans dirigeant et la religion n'avait pas de guide.Dans son commentaire du Brahma-sutra, Shankara déplore la triste conjoncture de son époque en ces termes : «Celui qui maintient que, jadis, les gens n'étaient pas plus capables de converser avec les dieux qu'à présent pourrait aussi bien prétendre que, comme à l'heure actuelle aucun prince ne règne sur le pays entier [sarvabhauma], de tels souverains n'ont jamais existé dans le passé ; ou bien il pourrait arguer que, dans les temps anciens, les vocations et les obligations propres aux différents castes et âges de la vie étaient généralement aussi mal définies qu'aujourd'hui.»Au temps de Shankara, l'Inde était divisée politiquement et socialement décadente. De nombreuses principautés, étrangères les unes aux autres, se disputaient le pouvoir. Les groupes sociaux revendiquaient des droits au lieu de s'acquitter de leurs devoirs. La haine engendrait la haine et la paix était sacrifiée sur l'autel de l'égoïsme et de la convoitise. L'anarchie régnait dans toutes les sphères de la vie et de la pensée. D'un côté, les littéralistes et les ritualistes, aveugles à l'air du temps, s'obstinaient à suivre à la lettre les Écritures et en manquaient l'esprit ; de l'autre, les nihilistes et les iconoclastes cherchaient à arracher et à piétiner tout ce qui était sacré et ancien.Outre le chaos régnant dans les écoles de philosophie, l'hostilité prévalait entre les différentes sectes religieuses. Les gens oublièrent l'ancien enseignement védique selon lequel le Réel est Un ; s'accrochant à leurs conceptions étroites de la divinité et sous l'emprise du fanatisme, ils utilisèrent la religion comme une arme de combat au lieu d'y puiser le réconfort.C'est à cette époque de conflits et de confusion extrêmes que naquit Shankara. Sa trop courte vie sur terre, il la consacra à guérir les blessures du coeur et de l'esprit et à indiquer aux hommes la voie de la santé physique et spirituelle. En grand médecin de l'âme qu'il était, il diagnostiqua que la maladie dévorant les forces vives de la société plongeait ses racines dans la désunion, et prescrivit le seul remède capable de la guérir, à savoir la connaissance salvatrice de l'unité, la philosophie de l'Esprit non duel des Upanishad. Cette panacée avérée de tout temps prouva particulièrement son efficacité à l'époque de Shankara.Les seuls récits de la vie de Shankara qui nous restent s'apparentent à des légendes dont certaines ne coïncident pas entre elles. Ils sont à découvrir dans les Shankara-vijaya écrits par Madhava, Ananda-giri, Cidvilasa et Sadananada. Certains incidents de la vie de Shankara sont mentionnés dans Patanjali-vijaya, Sivarabasya, Brabmandapurana et Skandapttrana.(...)
