Extrait de l'introduction«Qu'est-ce que la vérité ?». Cette question formulée par Pilate, dans son dialogue avec Jésus (cf. Jn 18,38), hante toute personne humaine, de quelque manière que ce soit, et ne manque point d'influer sur son existence et dans la façon de l'appréhender. La question de la vérité n'a point de cesse, en effet, qu'elle ne suscite une recherche de sens - non point sous le régime de la confusion et de l'errance, mais de la lumière -, de telle sorte qu'elle promeut la découverte libératrice de ce qui est, selon l'adéquation du Je pensant-relationnel avec une réalité donnée. Objet de cette recherche, la vérité opère progressivement la transformation de la personne et la conduit à se départir de ce qui est mensonge, surtout à l'égard d'elle-même.Cela est remarquablement exprimé, par Dostoïevski, dans la réponse du starets Zosime à la question posée par Fiodor Pavlovitch, buveur invétéré :«Maître - il se mit soudain à genoux - que faut-il faire pour gagner la vie éternelle ?» Même alors, il était difficile de savoir s'il plaisantait ou cédait à l'attendrissement. Le starets leva les yeux vers lui et prononça en souriant : «[...]. Surtout ne vous mentez pas à vous-même. Celui qui se ment à soi-même et écoute son propre mensonge va jusqu'à ne plus distinguer la vérité ni en soi ni autour de soi; il perd donc le respect de soi et des autres. Ne respectant personne, il cesse d'aimer, et pour s'occuper et se distraire, en l'absence d'amour, il s'adonne aux passions et aux grossières jouissances; il va jusqu'à la bestialité de ses vices, et tout cela provient du mensonge continuel à soi-même et aux autres. Celui qui se ment à soi-même peut être le premier à s'offenser. On éprouve parfois du plaisir à s'offenser, n'est-ce pas ? Un individu sait que personne ne l'a offensé, mais qu'il s'est lui-même forgé une offense, noircissant à plaisir le tableau, qu'il s'est attaché à un mot et a fait d'un monticule une montagne, - il le sait, pourtant il est le premier à s'offenser, jusqu'à en éprouver une grande satisfaction; par là même il parvient à la véritable haine... Mais levez-vous, asseyez-vous, je vous en conjure; cela, c'est aussi un geste faux...»L'histoire de l'humanité n'est-elle point essentiellement marquée par la vérité, parce que fondée sur elle et ressaisie par elle, en tant que la vérité se découvre comme lui étant donnée. Or, notre histoire est aussi celle du refus de la vérité et de blessures profondes qui en sont la conséquence, lorsqu'il y a rupture avec le Sens, fermeture à la lumière, injustice, non-respect de l'autre en tant qu'autre et de soi-même, non-accueil dans l'amour véritable. La vérité refusée, dans un contexte déterminé, subit alors violence et se trouve comme dans la condition de l'exil. La question posée par Pilate - «Qu'est-ce que la vérité ?» - s'inscrit-elle dans un tel refus, est-elle le fait d'un scepticisme, ou plutôt l'expression d'un non-savoir et d'une non-saisie ? Pilate paraît ne pas pouvoir accueillir l'enseignement de Jésus, tout en ne trouvant en lui aucun motif de condamnation (cf. Jn 18,38; 19,4.6)4 : «Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, dit Jésus, que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix» (Jn 18,37).La naissance de Jésus est en effet la venue de la vérité divine dans le monde, offerte pleinement aux hommes pour leur salut et pour l'accomplissement eschatologique de ce à quoi ils sont tous appelés. Dans leur vocation à l'accueil de la vérité, les hommes sont ainsi conduits, par l'Esprit, à l'écoute du Christ-Vérité, la Parole du Père : «Celui qui entre par la porte est le pasteur des brebis. Le portier lui ouvre et les brebis écoutent sa voix, et ses brebis à lui, il les appelle une à une et il les mène dehors. [...] J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cet enclos ; celles-là aussi, il faut que je les mène ; elles écouteront ma voix; et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur» (Jn 10,2-3.16). L'écoute de la voix du bon pasteur consiste en l'acte de foi en Jésus, envoyé par le Père, et dans l'amour de la vérité qu'il est en lui-même.