ExtraitExtrait de l'introduction«Nous percevons toutes choses à travers un milieu ; certaines de loin, d'autres de près. Mais dans ce dernier cas, nous ne nous en apercevons pas.» Plus les choses nous sont proches et connaturelles, moins nous en avons une expérience distincte; elles se confondent alors avec le milieu. Il n'est donc pas étonnant que la théologie de la Révélation apparaisse si tardivement dans l'histoire de la pensée chrétienne. La Révélation colle à la peau du croyant, aux yeux et aux oreilles. Elle est affirmée dans tout acte de foi explicite ou implicite, depuis le jour où «Abraham s'en alla, selon ce que lui avait dit le Seigneur.»Nous ne croyons que ce que Dieu révèle, nisi quia est a Deo revelatum. L'acte de foi est conscient, parce que c'est notre acte. La Révélation, implicitement attestée dans notre acte de foi, est un acte de Dieu : nous n'en avons pas d'expérience distincte et positive. Comme dans notre acte de foi nous atteignons Dieu-Vérité première, rien n'oblige, dans l'acte de foi, de thématiser l'acte par lequel Dieu rend cette foi possible et effective.Thématiser la Révélation est un acte de théologie réflexive ou critique, c'est-à-dire un acte de la théologie qui revient sur son propre acte, pour tenter d'en déterminer les conditions de possibilité et d'exercice. La Révélation est thématisée «dans le rétroviseur», quand le parcours de la foi est déjà amorcé. Pour la théologie positive, la Révélation est un objet typiquement subsidiaire, pour employer une catégorie du penseur hongro-anglais que nous rencontrerons plus loin dans ce travail. Elle ne peut pas être objet focal d'une théologie positive : la Révélation n'est pas révélée elle-même, mais est subsidiairement présente à toute entreprise théologique. Elle ne peut être objet focal que d'une théologie critique ou fondamentale.La théologie dogmatique s'est construite au gré des controverses, depuis les premiers temps du christianisme. Le contenu de la Révélation, tel que l'Église le reçoit, le transmet et l'explicite pour les besoins du temps présent, s'est vu interroger, mettre en cause voire partiellement rejeter. La Révélation elle-même, en tant que source de connaissance surnaturelle, n'a été controversée qu'à partir du déisme du XVIIe siècle. Auparavant, le plus obtus des hérétiques n'aurait pas songé à questionner la Révélation, au moins dans sa factualité, en déniant son caractère transcendant.À partir de Spinoza, la vérité devient la compétence exclusive de la raison. La Révélation n'a rien à ajouter à la raison et n'a plus de droits à faire valoir, sinon pour catalyser l'obéissance et la piété de l'homme simple, non-philosophe. Les normes critiques de la raison l'emportent sur elle. Il ne va plus de soi de postuler une source de connaissance surnaturelle, puisque toute connaissance vraie est fruit de la raison, ou tout au moins mesurée par elle. Le déisme du XVIIe siècle, et le rationalisme du XVIIIe, mettent à mal la crédibilité même des arguments de crédibilité fournis par l'apologétique traditionnelle. Miracles et prophéties ne constituent ni n'imposent des vérités nécessaires à la raison.
