ExtraitExtrait de l'introductionLe monde catholique à un tournantLors de leurs retrouvailles de Castel Gandolfo, ce 24 mars 2013, ils se serrent les mains avec chaleur, l'un pape en exercice, l'autre pape émérite, avant d'aller s'agenouiller côte à côte pour prier dans la chapelle du palais pontifical. Que font-ils là, ces hommes en blanc improbables ? Qui les réunit ? Pourquoi rejouent-ils à deux une pièce de théâtre vieille de deux mille ans et qui semble usée comme un vieux drap ?Deux papes si différents, l'un fragile et voûté, l'autre encore vigoureux. À ce Christ, ils ont tout donné, ils voient en Lui le centre de l'univers. Ils professent qu'A libère des esclavages, y compris de leurs propres limites et péchés. Ils confessent cette parole incroyable de l'Incarnation d'un Dieu tout-puissant qui se fait serviteur, de laquelle on est tenté de douter : trop belle, impossible, illusoire. Pour ceux qui sont désabusés et considèrent tout - religion, politique - comme une comédie, ces hommes se leurrent ou mentent. Comment osent-ils dire qu'ils sont pleinement comblés quand il y a tant de souffrances, de séismes, de maladies, d'injustices à la naissance même ? L'un ose encore nous parler de la Vérité, l'autre nous ressort même la figure du diable.Pourtant l'un, le plus doux même s'il est le plus sévère, Benoît, dit que la création de Dieu est comme une partition parfaite de musique, qu'il n'y a rien de plus exaltant que de rechercher la Vérité au milieu des vérités relatives. Que le Bon Pasteur donne tout, n'enlève rien. L'autre, François, témoigne que le Dieu chrétien est un Dieu de la miséricorde et du chemin vers l'autre, et qu'il peut rendre heureux, sous le poids même de la Croix. Heureux de donner, de se donner, de recevoir, dans un mouvement permanent. «N'ayez pas peur de la bonté et même pas non plus de la tendresse», enjoint-il aux prêtres en pensant à toutes les marges existentielles de ce monde.Ils sont tous deux des objets de scandale, ils inspirent la haine, comme on l'a vu prétendre sur les réseaux sociaux.Ils gênent, ils sont à contre-courant. Tant ils s'en prennent aux idées reçues, au relativisme tant aimé, qui nous sécurise et insécurise à la fois. Pour se donner courage, ces papes se réfèrent à la cohorte de martyrs anonymes, qui, des premiers chrétiens au Goulag et au nazisme, ont offert le témoignage admirable d'aller jusqu'au bout : donner sa vie pour ceux qu'on aime. Le nouveau pape François invite clairement à les suivre.Ils y croient ? Comment le peut-on, aujourd'hui ! Benoît comme François, si différents, avec leurs limites et leurs charismes, proposent une alternative, et ils le font sans rire ! De Noël à la Pentecôte en passant par Pâques, ils redébobinent toujours la même pelote, une religion mystérieuse, un peu compliquée mais dont les mots semblent pourtant s'animer comme une fresque de Giotto ou un tableau du Caravage. Une alternative de liberté qui ne se laisse récupérer par rien, même si elle a été salie, exploitée à des fins contraires à son essence. Que l'Église institution soit très pécheresse, Benoît et François en sont très conscients. Mais cela ne les conduit nullement à renoncer à l'Église mystique qui se bâtit à partir de la texture des hommes de chair. Et l'on aime à tourner son regard, plutôt que vers tous les scandales défigurant le nom de Dieu, vers d'innombrables témoins de la charité et de l'intelligence. Ils ont, autour d'eux, rendu plus humain l'humain, fait renaître des sourires sur les visages, et la dignité dans les coeurs, en mettant en pratique la parole de Jésus. De Vincent de Paul à François d'Assise, de Jean-Sébastien Bach à Thérèse d'Ávila ou à Hildegarde de Bingen. Un cortège interminable et fascinant de saints et saintes, de penseurs, d'artistes, d'originaux...